braniya chiricahua




L'ancien se meurt, le nouveau ne parvient pas à voir le jour. Dans ce clair-obscur surgissent des monstres.
Antonio Gramsci

samedi 28 mars 2015

TOTAL, LE DIVAN D'ALGER ET LE VEAU D'OR

Un article lumineux de José Bové


L'idée d'utiliser une denrée aussi rare, précieuse et vitale que l'eau pour aller fracturer des roches à plusieurs milliers de mètres sous terre n'a pu naître que dans l'esprit malade de gens qui depuis longtemps ne perçoivent du monde que les signes renvoyés par le CAC 40 ou la croissance du PNB.

Les mobilisations en France ont contraint le gouvernement de l'époque à faire voter une loi contre la fracturation hydraulique. C'était une superbe victoire qui a surpris tout le monde par sa rapidité et par le fait que parmi les opposants, se retrouvaient, côte-à-côte, des citoyens d'horizons politiques très différents. La défense de l'eau brisait les carcans politiques classiques qui imposent un monde binaire, droit/gauche, noir/blanc.

La Pologne était soi-disant le nouvel Eldorado pour les multinationales des hydrocarbures qui sont arrivés à Varsovie dans les bagages d'Obama en 2008. Depuis, les paysans et les citoyens se sont mobilisés. Certains, que j'ai rencontrés à plusieurs reprises dans l'est à la frontière avec l'Ukraine, se sont relayés pendant des mois, jours et nuits, pour empêcher les camions vibreurs d'entrer dans leur champ. Leur détermination a fini par arracher le morceau et les multinationales ont quitté les lieux en catimini.

Ces mêmes multinationales sont allées explorer le terrain en Roumanie d'où elles ont également été chassées par des milliers de manifestants déterminés. Chevron a annoncé son départ, le plus discrètement possible, il y a quelques jours seulement de ce pays.

Face aux dégâts sanitaires et environnementaux, aux Etats-Unis, l'Etat de New York a interdit la fracturation hydraulique et la Californie pourrait lui emboîter le pas très prochainement.

Sur cette planète, les gens refusent le gaz de schiste. Nombreux sont ceux qui se dressent, gagnent et leurs victoires font boule de neige.

Le simple fait que Total songe à exploiter le gaz de schiste dans le désert montre une fois de plus que cette entreprise est criminelle. Elle devra répondre de ses crimes devant un Tribunal environnemental international qui, je l'espère, verra le jour prochainement.

Total pensait pouvoir s'épanouir dans un pays du Maghreb sous la protection d'un système politique corrompu et répressif. Elle en est pour ses frais.

Total, grâce à son arrogance et à son cynisme, a soulevé la colère de dizaines de milliers d'Algériennes et d'Algériens en qui je me reconnais.

Total doit immédiatement interrompre ces recherches dans cette région et laisser les gens tranquilles.

Les manifestations contre l'exploration du gaz de schiste en Algérie ne mollissent pas, bien au contraire ! Elles sont de plus en plus nombreuses. Elles doivent être soutenues par l'ensemble des habitants de la planète et en particulier par nous, qui habitons de l'autre côté de la Méditerranée, et qui sommes leurs voisins.

Moins de dix mois avant la Conférence sur le réchauffement climatique qui se déroulera à Paris, ces Algériennes et ces Algériens qui disent NON aux gaz-euros font naître l'espoir comme les indiens d'Equateur qui refusent avec acharnement de laisser dévaster leur forêt pour une poignée de pétro-dollars. Les gens se redressent. C'est une nouvelle donne que les chefs d'état qui se réuniront à Paris en décembre 2015 doivent sérieusement prendre en considération.

Ces manifestations sont le signe de l'émergence d'une conscience écologique mondiale qui place les ressources naturelles, la qualité de la vie, la beauté des paysages au-dessus des profits et sur lesquelles les idéologies de toutes natures viennent se fracasser. De ces manifestations coule une source d'espérance et de détermination qui nous renforce.

http://blogs.mediapart.fr/blog/jose-bove/280215/le-gouvernement-algerien-doit-interdire-la-fracturation-hydraulique

jeudi 26 mars 2015

KHOL', GUETT ET GAZ DE SCHISTE : LE DEY A PARLÉ




























Le représentant du pouvoir militaro-compradore d'Alger a consenti, dans son infinie mansuétude, à délivrer deux messages laconiques à destination de sa mazra'a -son hacienda, l'Algérie. L'un et l'autre message adressés au ghachi -la tourbe- étaient autant de gronderies paternalistes non dénuées d'une sourde menace.

Le premier avait trait à l'augmentation, constatée statistiquement, du nombre de divorces demandés par les femmes algériennes qui, s'ajoutant à la capacité maritale de répudiation foudroyante de l'épouse, constitue un péril pour la famille algérienne. Quand on sait quelle place occupe la famille dans le système socio-politique algérien, on comprend l'inquiétude du Dey : de proche en proche en effet, cette attaque de la famille par les deux bouts si l'on peut dire, risque d'ébranler le système tout entier. Système cuppulaire appelé -ne l'oublions pas- par l'Odjaq lui-même "famille révolutionnaire".

En droit islamique, l'épouse a le droit de demander le divorce -cela s'appelle le "Khol'" de khala'a, yakhela'ou, enlever, ôter, se défaire de- mais elle doit pour cela exciper de motifs légaux, très précisément définis. Le Khol' rappelle en tous points une disposition analogue de la loi vétérotestamentaire ( = de la Torah) dite "Guett". Récemment, dans une tribune libre publiée par le quotidien "Le Monde", une écrivaine d'origine juive dénonçait le marchandage sordide entre époux auquel donnait lieu la tentative d'obtention du Guett. (En l'occurrence, le rabbin avait fixé le Guett à 90 000€, en prélevant sa commission au passage !) Alors, lorsque l'on sait ce qu'il en coûte à l'homme algérien de prendre femme -les prétentions de la famille de la malheureuse élue sont d'une extravagance absolue, témoignant du niveau de dégradation morale d'une société où la cupidité n'a plus de limites-, on imagine ce qu'il en coûtera à la femme demandeuse de Khol' pour dédommager le mari. Ou comment la soif d'argent vous revient dans les gencives. Comme l'on peut imaginer que la mise en garde du Dey se traduira par un durcissement des conditions d'obtention du Khol'.

Rappelons au Dey et à son Divan que la tendance des femmes à demander le divorce est mondialement observable. En France par exemple, 70 % des demandes de divorce sont le fait des épouses. Plus les femmes auront accès à l'alphabétisation et à la culture, plus elles seront indépendantes économiquement et moins elles auront tendance à accepter les conditions d'une union digne des siècles obscurs. Ce n'est pas bien difficile à comprendre et l'on peut s'en féliciter ou s'en désoler, ce qui n'empêchera pas d'exister. Combien de temps encore avant que l'humanité ne réalise que l'inclination réciproque de deux individus autonomes est la seule base suffisamment solide -encore qu'elle ne garantisse rien- pour supporter les vicissitudes de la vie et la responsabilité d'avoir des enfants ? Jenny Von Westphalen, aristocrate pur jus, a défié sa famille pour épouser un -brillant, certes- philosophe de la classe inférieure avec lequel elle connaîtra les tourments de la vie de clandestins pourchassés par les polices européennes, de l'exil et de l'extrême pauvreté sans que rien -sauf la mort- n'arrive à la séparer de son Karl Marx de mari. Alors, Guett, Khol' ? Préhistoire ! Pouah !

La seconde adresse du Dey à la mazra'a avait trait aux manifestations des habitants de In-Salah (dans le grand sud algérien). Ces derniers n'en finissent pas d'occuper la rue pour dénoncer la monstruosité qui les prend eux et leur région pour cobayes : les forages à la recherche du gaz de schiste entrepris par fracturation hydraulique. Les habitants de cette région ont vite compris qu'ils étaient menacés dans leur existence même. Leur combat a la force du désespoir. Qu'à cela ne tienne ! Le Dey n'a eu que ce mot -d'une perfidie rare, digne du Makhzen marocain- à leur intention : "Le gaz de schiste est un don de Dieu". Ce qui veut dire en creux : "C'est haram de s'opposer à son exploitation". L'argument massue, suprême, celui que le ghachi ne songerait même pas à discuter : Dieu l'a voulu et vous oseriez, vous, contrarier Sa volonté ?

(Pour faire bonne mesure et culpabiliser les manifestants, le Dey a ajouté que faute d'exploitation de ce don de Dieu, on ne pourrait mener à bien la construction du pays -sous-entendu : Et vous en serez tenus pour responsables. Qui le Dey croit-il tromper en parlant d'édification nationale ? Il y a longtemps que le ghachi si méprisé sait bien que ce slogan recouvre l'édification des fortunes de la caste militaro-compradore qui saigne le pays. Espérons que les gens d'In-Salah ont également compris que cette caste n'hésitera devant rien pour maintenir la machine à bakchich en marche.)


Le Haram en islam est ce qui est interdit absolument, le mal en soi, pourrait-on dire. On retrouve la même racine -hrm- en hébreu ainsi que le terme "Herem" qui a le sens d'excommunication, mise au ban du groupe (cf le Herem célèbre et terrifiant qui a frappé le philosophe Spinoza). Le message du Dey délivre, dès lors son véritable sens : Si vous vous opposez à l'exploitation du gaz de schiste, alors vous n'êtes pas des nôtres. Cela dit, la notion même de "famille révolutionnaire" vaut Herem pour l'écrasante majorité des Algériens, demeurés sans droits politiques réels, comme au temps du code de l'Indigénat.