braniya chiricahua




L'ancien se meurt, le nouveau ne parvient pas à voir le jour. Dans ce clair-obscur surgissent des monstres.
Antonio Gramsci

mercredi 29 octobre 2014

L'HOMME MALADE DU PROCHE ORIENT

  « Haïr les Arabes n’est pas du racisme, c’est une valeur morale »

“Il est temps d’admettre honnêtement que la société israélienne est malade – et il est de notre devoir de traiter cette maladie”. 

C'est le Président de la colonie juive de Palestine -"seule démocratie du Proche Orient"- qui a fait cette déclaration, rapportée par le "Jerusalem Post" et l'"Agence télégraphique juive." Le Présidenta ajouté : « Je ne demande pas s’ils ont oublié comment être Juifs, mais s’ils ont oublié comment être des êtres humains décents. Ont-ils oublié comment converser ? »


Le Président ne dit pas comment sortir de cette aporie :  être des êtres humains "décents" veut dire rentrer dans les rangs de l'humaine condition, chose impossible quand on croit mordicus au mythe criminel du "peuple élu". 


Cela étant, on remarquera que cette déclaration arrive après le carnage perpétré contre un camp de concentration, le plus grand du monde, Gaza, dont on a pris soin -encore une fois- de bombarder les écoles (appartenant à l'ONU) afin de faire le plus grand nombre de tués possible parmi les enfants. Et ce n'est pas là calomnie : un député du Likoud, Ayelet Shaked, appelle à assassiner des mères palestiniennes et leurs enfants; une foule de manifestants chante "Il n'y aura pas école demain, on a tué tous les enfants (palestiniens)"; une entreprise textile israélienne a fabriqué des t-shirts floqués portant l'image d'une femme palestinienne enceinte avec la légende suivante : "Un tir, deux morts" etc..

La vérité est là : l'état juif mène une guerre démographique au terme de laquelle il espère parvenir à ses fins dernières : un état juif purifié, un état juif "arabenrein", s'étendant du Nil à l'Euphrate. Déjà, il est établi aux sources du Nil, étant chez lui dans le nouvel état du Sud Soudan. Et il s'approche du deuxième fleuve, étant à demeure au Kurdistan irakien, celui de Barzani.


mardi 28 octobre 2014

LE COMPLEXE MILITARO-COMPRADORE



Baisse du prix du baril de pétrole

Cet article a été écrit et publié en juillet 2012, après les soi-disant élections législatives algériennes qui eurent lieu en mai 2012. 

Une Algérie engourdie sous la canicule et le ramadhan n'a pas remarqué qu'il s'était produit un coup de tonnerre dans un ciel désespérément bleu et limpide. Plus exactement, il s'agit d'un coup de pied de l'âne comme on en a rarement vu. Le rapport final de la mission d'observation électorale de l'Union européenne (MOE) pour les élections (soi-disant) législatives du 10 mai 2012 a été remis aux autorités algériennes. La Mission a tenu, à cette occasion, une conférence de presse durant laquelle elle a dévoilé aux médias la substantifique moelle de ce rapport. Il n'y avait là rien que de très technique et de convenu. Sauf -ô surprise- que la MOE quitta subitement le terrain des constatations et des recommandations pour brosser à grands traits un état des lieux politiques des institutions de la République algérienne (prétendument) démocratique et populaire. Et qu'a dit la MOE ?

- Que la soi-disant APN (Assemblée populaire nationale), ou chambre basse du Parlement, a rarement l'initiative législative et que la majorité des lois sont prises à l'initiative du gouvernement (lequel est dirigé en dernière instance par le président de la République, le Premier ministre n'étant qu'un truchement) ;

- Que -quelle que soit la composition de l'APN-, cest le Conseil de la nation (chambre haute) qui entérine in fine l'adoption des lois et des réformes ;

- Que la chambre basse peut être dissoute par le président de la République ;

- Que la participation de 44 partis -dont une vingtaine agréés à quelques jours du scrutin- a participé à l'émiettement de voix et a favorisé le FLN ;

- Que le président de la République, rééligible sans limite de mandats, nommant le Premier ministre et le gouvernement, disposant de larges prérogatives législatives, est également le chef du pouvoir judiciaire (déclaré prétendument indépendant par la constitution) qu'il exerce en sa qualité de président du Conseil supérieur de la magistrature.

Traduit en clair, tout cela veut dire qu'il n'y a pas de séparation des pouvoirs en Algérie ; qu'un seul homme les concentre tous entre ses mains ; que l'Algérie n'est donc pas une république -et encore moins une démocratie- mais que c'est un système de type absolutiste, plus proche du despotisme asiatique que de l'État moderne qui, lui, organise la redistribution des pouvoirs au sein de la société. Si la MOE avait fait une analyse rapide du fonctionnement économique du pays, nul doute que nous aurions eu, alors, la description exhaustive d'un système que l'on peut désigner par la notion de Complexe militaro-compradore.

Cela veut dire également que ces (soi-disant) élections législatives -outre qu'elles n'étaient pas honnêtes- n'ont servi à rien, qu'elles ne peuvent servir à rien dans un tel système. Cela, tout Algérien le savait -le sait depuis toujours- et c'est même pour cela qu'il ne s'est pas dérangé le 10 mai. Mais voilà : c'est dit par une commission européenne que le pouvoir siloviki (militaro-policier) avait lui-même sollicitée, escomptant qu'elle lui délivrerait un satisfecit à même de redorer son blason. Mais c'est à un retour de manivelle en plein dans les gencives qu'il a eu droit.

Si le pouvoir siloviki n'a pas réagi aux horions que la MOE lui a distribués avec une prodigalité rare, qu'en est-il des soi-disant partis politiques qui ont participé « à la grande fête démocratique » que furent les élections du 10 mai (c'est ce qu'ils feignent de croire car cela arrange leur conscience et rend hallal l'indécent émolument qu'ils vont percevoir) ? Silence de plomb, de ce côté, également. Il faut bien comprendre que si le pouvoir soi-même ne s'est pas exprimé, ses appendices le peuvent encore moins. Combien eussions-nous aimé, cependant, qu'au moins le plus proche des institutions européennes réagisse ! Faut-il en déduire que le bœuf sur la langue du FFS pèse décidément trop lourd pour que ses chefs -ceux qui ont pris la décision de la géniale «participation tactique»- puissent la remuer ? Compatissons et passons.

Un autre événement est survenu, en effet, qui n'a pas eu davantage d'échos chez les silovikis ni chez la soi-disant « classe politique » : l'Algérie vient d'être classée au dernier rang mondial pour les liaisons internet. Faiblesse du débit et de la bande passante, la totale. Comment un pays doté de ressources immenses peut-il faire moins bien que d'autres, africains et asiatiques, très pauvres ? Est-ce le rôle éminent joué par la Toile et les réseaux sociaux dans les insurrections arabes qui expliquerait que les silovikis ne veuillent pas développer un instrument de communication aussi efficace ? Il y a probablement de cela et plus encore l'attitude générale d'un pouvoir qui a été, depuis toujours, méfiant à l'égard de l'intelligence et de la science : même Boumédiène a préféré, comme Ministre de l'éducation, Med-Chérif Kharroubi (illustre abrégé) à Mostafa Lacheraf (agrégé de la Sorbonne). Mais le fond de l'affaire est certainement ailleurs : la mise aux normes internationales « Très Haut Débit » du réseau exige de substituer la fibre optique aux fils de cuivre. Un fabuleux contrat pour la multinationale qui le décrocherait. Et une non moins fabuleuse rétro-commission pour les « décideurs ». Donc, il faudra attendre que le GIS (ou de quelque nom que l'on voudra l'affubler) -le groupement d'intérêts siloviki qui régule le partage de la manne- ait mis tout le monde d'accord sur le choix de la multinationale qui captera le marché ainsi que sur le montant des dividendes de chacun. (Des esprits mal intentionnés ont prétendu que le promoteur de cette façon de faire est Larbi Belkheir et que sa méthode est un démarquage du système dit de la coupole, celui de Cosa Nostra.)

De même qu'il faudra attendre les délibérations du GIS pour qu'un autre scandale qui met, celui-là, les gens dans la rue, cesse : il s'agit des coupures de courant électrique, en fait des délestages opérés par la société nationale qui gère l'énergie électrique. Dans un pays exportateur d'hydrocarbures, à l'ensoleillement presque continu, la production d'énergie ne suit plus ! Alors même qu'il suffirait que chaque habitant place quelques panneaux solaires sur son toit. Mais qui fournira ces panneaux ? Une multinationale etc.

Ainsi va le complexe militaro-compradore. De son pas de plomb qui plombe un pays entier, tournant le dos aux intérêts nationaux.

samedi 25 octobre 2014

CETTE 3° GUERRE MONDIALE QUI VIENT



« La Russie est aux portes de l'OTAN » ! s'est exclamé, alarmiste, le Secrétaire d'État US à la défense, Chuck Hagel. Vous avez bien lu La Russie est aux portes de l'OTAN. Du reste, même les médias étatsuniens ont eu du mal à y croire qui ont bombardé le porte-parole du Pentagone de questions du genre :
-La Russie avance-t-elle vers l'ouest ?
-Ne serait-ce pas que l'OTAN avancerait vers l'est ?
À quoi, le porte-parole répondait suavement que l'OTAN n'était pas un pacte agressif (ce n'est pas ce qu'on lui demandait mais un porte-parole c'est fait justement pour ne pas répondre aux questions ).

On voit bien, à travers cette déclaration tout simplement incroyable, jusqu'où peut aller l'arrogance des USA : prendre le monde entier pour un ensemble de débiles mentaux, prêts à avaler n'importe quelle énormité car venant du maître du monde, celui qu'on ne croit pas mais que l'on fait semblant de croire parce qu'on pense que sans lui votre mode de vie serait gravement menacé. Ce n'est pas sans rappeler les mensonges sur le 11 septembre ou Colin Powel agitant sa petite fiole pleine de poudre blanche devant le Conseil de sécurité de l'ONU. Pauvre Oncle Tom ! (Quand les maîtres ont un sale boulot à faire, avez-vous remarqué qu'ils le confient généralement à un dominé ? Colin Powel- pour les mensonges justifiant l'invasion de l'Irak-, Barack Obama -pour redorer le blason US, tout en continuant la même politique d'agression-, Rachida Dati -pour le charcutage de la carte judiciaire française-, Christiane Taubira -pour la loi instituant le mariage sodomite et lesbien-, Najat Vallaud-Belkacem -pour l'introduction de l'idéologie du Genre à l'école-, etc..)

Mais là, la distorsion de la réalité atteint aux dimensions de la fable du loup et de l'agneau. Tu troubles mon eau, dit le loup qui se trouvait en amont du cours d'eau. Mais je suis en aval, dit l'agneau. L'agneau se fera dévorer quand même. Sauf qu'en l'occurrence, la Russie n'est pas un tendre agneau bêlant. Mais allez dire cela à un loup sûr de lui et dominateur, aveuglé par sa puissance supposée au point de perdre le sens des réalités. L'hubris -la démesure et l'arrogance- était la propédeutique au châtiment que Zeus réservait à ceux qu'il leurrait sur leur propre puissance justement pour les rendre aveugles au réel. Un politologue russe rappelait récemment que la Russie maîtrisait comme personne la science des séismes provoqués artificiellement. Et de faire remarquer qu'un tremblement de terre au large de l'Atlantique provoquerait un tsunami qui engloutirait toute la côte est des USA, le berceau de l'établissement WASP. Et même si la Russie était anéantie par une frappe nucléaire perfide des USA (excusez le pléonasme), il y aurait quand même une réponse post mortem, pour ainsi dire : des centaines d'engins balistiques à tête nucléaire décolleraient automatiquement à la première frappe pour s'en aller rayer de la carte l'empire du mal.

Les dirigeants yankees, ivres de puissance et aiguillonnés par les groupes de pression sionistes, n'ont d'yeux que pour une autre carte, celle de leur marche vers la domination mondiale. À l'est de l'Europe, l'OTAN est aux frontières même de la Russie, dans les pays baltes et cherche à s'installer en Ukraine. Il s'agit ici de réduire la Russie au rang d'État subalterne, de l'empêcher coûte que coûte de redevenir une superpuissance. C'est l'objectif principal de la stratégie yankee car de lui dépend la réussite de l'autre : le confinement et/ou la destruction de la Chine.

Les observateurs politiques occidentaux chantent à peu près tous la même chanson, celle du déclin US. Il est permis de s'interroger sur les motivations véritables de gens qui cultivent habituellement la servilité à l'égard de tout ce qui vient des USA. Escomptent-ils un sursaut de l'empire dans le domaine moral, culturel ? L'histoire n'avançant jamais que par son mauvais côté, l'empire n'est capable que d'une guerre à laquelle il se prépare à l'évidence. Mais peut-être est-ce ce qu'espèrent secrètement ces thuriféraires stipendiés de l'empire ?

Hegel disait, en substance, que le vrai est le tout qui avance par accroissement de toutes ses parties. Ce mouvement immanent du tout est perceptible aujourd'hui dans l'unification du marché mondial par le Capital et le maître d'oeuvre en est encore les USA. À bon entendeur.





samedi 11 octobre 2014

MÉMOIRE EN FRAGMENTS : CHRONIQUES SALADÉENNES (17)






LUGUBRE RETOUR AU VILLAGE
Nous sommes rentrés chez nous sans avoir échangé un mot. Mon père, terrassé par la fatigue, semblait comme absent. Il ne me posa aucune question sur le déroulement de l'examen. Le Calciné, quant à lui, tout à son plaisir de conduire la Traction, souriait de satisfaction. Peut-être y avait-il dans ce sourire la composante sadique de m'avoir fait la peur de ma vie et d'avoir empêché que ma journée se finisse bien ? De toutes les misères que m'a faites le Calciné -comme de me répéter que j'étais un bâtard de soldat américain recueilli charitablement par mes parents, comme également de ne jamais m'appeler par mon prénom, Mas'oud, mais par une déformation, Mal'oug, qui pourrait signifier le pendu ou quelque chose d'approchant, si tant est qu'elle signifie quelque chose, sa fonction étant justement de me dépersonnaliser, de me néantiser-, ma mémoire garde intact le sentiment de terreur que j'ai éprouvé ce jour-là, à l'idée d'être abandonné, comme mon père le fut par une mère monstrueuse.

DE L'IMMATURITÉ ET DU SADISME

Les peuples méditerranéens survalorisent l'enfant mâle et les mères -premières victimes de cette adoration phallique- entretiennent avec leur garçon une relation fusionnelle, empêchant le rejeton d'accéder à l'âge de raison. Monstre d'égocentrisme, incapable de concevoir la notion de partage, incapable de comprendre pourquoi le monde extérieur lui résiste, il a, dès lors, toutes les chances de rester « l'enfant-tout-puissant », cet être pathologique incapable d'aimer. Avant que l'âge, les études et l'expérience ne me l'apprennent, j'ai pu constater de visu la chose chez mes congénères.

ADMIS

C'est M. Porta qui me l'a annoncé lui-même : « Tu es reçu au concours. » Nous fûmes cinq admis au lycée Lamoricière : Jean-Louis Viruéga, Joseph Botella, Hervé Yvars, Henri Bardie et moi. Viruéga était le fils du secrétaire de mairie, Botella et Yvars fils d'employés de banque et Bardie fils de médecins. (Quatre fils des classes moyennes pour un fils de paysan arabe, la réussite scolaire des enfants issus des classes moyennes se manifestait déjà comme une tendance lourde, même en contexte colonial). À la vérité, la nouvelle de ma réussite ne suscita nulle joie en moi. D'abord parce qu'elle signifiait la fin de cette merveilleuse année 1953-54, l'année du CM2, l'année où j'eus le bonheur et la chance insigne d'avoir pour maître M. Porta. (Vous n'imaginez pas, cher M. Porta, ce que je vous dois ! Vous avez fait rien moins que me révéler à moi-même et décider du cours de ma vie. À vous je dois la seule séquence de ma vie scolaire où j'ai été pleinement heureux.) Ensuite, parce que mon avenir immédiat était fait d'incertitude et de peur à la pensée de me retrouver dans un autre univers, un monde qui n'était pas le mien.
M. Porta

FIN D'UNE ÉPOQUE

La fin de l'année scolaire est généralement marquée par des heures de joie ineffable au cours desquelles on confectionnait des avions et des fusées en papier -le papier de nos cahiers qu'on dépouillait de leurs feuilles avant de les jeter dans la grande poubelle. La discipline de fer était suspendue et nous avions quartier libre en classe et dans la cour. C'étaient les plus beaux jours de l'année scolaire. Mais, en cette fin de cycle, je ne pensais qu'à ce que j'allais perdre. Mon maître bien aimé et mon mouderrès : car cette année-là fut aussi celle de l'apprentissage de l'arabe classique ! Au début de l'année, M. Porta avait recensé les élèves qui feraient de l'arabe : aux Arabes, il ne demanda pas leur avis. Inscrits d'office ! Les camarades européens ne se bousculèrent pas au portillon du volontariat : il n'y en eut aucun. Je partais avec un handicap certain : j'étais le seul arabe à ne pas « faire » l'école coranique, alors que mes congénères, eux, en étaient à leur sixième ou septième année. Le mouderrès (mot qui veut dire enseignant, professeur) était un Arabe, un homme jeune, au costume-cravate strict, parfait bilingue (certainement issu des lycées franco-musulmans, ces établissements qui avaient à charge de former des bilingues, à l'origine destinés à devenir des interprètes de justice). C'était un excellent pédagogue, aux méthodes modernes. Je découvris alors, stupéfait, que mes camarades de « l'école » coranique n'avaient strictement rien appris de la langue et qu'ils étaient juste bons à ânonner des versets du Coran (auxquels ils ne comprenaient rien, d'ailleurs). C'était bien la peine d'avoir passé tant d'années sur une natte d'alfa crasseuse et d'avoir engraissé un charlatan ! Mon père avait donc bien raison de me l'interdire. De plus, la vie m'offrait l'occasion d'une revanche éclatante sur mes camarades arabes. Eux qui moquaient mon accent et ma prononciation de « péquenot » (ils disaient « guélété »), apprirent que ma langue (celle des M'saada) était très proche de la langue dite classique, alors que celle qu'ils affectaient de parler (une sorte de sabir dans lequel les sonorités les plus gutturales de l'arabe étaient adoucies, un peu à la manière des Inc'oyables et les Me'veilleuses de la période du Directoire qui avaient déclaré le « r » roulé persona non grata), pour signifier leur citadinité était juste un abâtardissement opportuniste de la langue arabe. Au total, avec quelques heures seulement d'arabe par semaine (ajoutées aux répétitions auxquelles M. Porta soumettait les candidats au concours), je maîtrisais, à la fin de l'année, la graphie et les principales règles syntaxiques d'une langue complexe : c'est que cette langue était profondément mienne à laquelle j'ai été abreuvé depuis ma naissance.

LE CINÉMA

L'école m'a fait également découvrir quelque chose qui occupera une place importante dans ma vie : le cinéma. C'était au CE1, chez M. Robert, que j'ai vu pour la première fois de ma vie un film. C'était, évidemment, un « Charlot », un film de Charlie Chaplin. Nous avions été installés dans la grande salle polyvalente, face à une toile blanche. Quelqu'un a éteint la lumière, un faisceau blanc a zébré la salle et des images se sont dessinées sur la toile ! Un prodige ! Dès lors, je n'aurais de cesse d'essayer de comprendre le fonctionnement de la chose, subodorant, cependant, que l'explication résidait dans la petite cabine de laquelle sortait le faisceau lumineux. Je deviendrai un passionné de cinéma mais rien ne provoquera en moi jamais le rire et la tendresse que suscite toujours le petit bonhomme avec ses souliers trop grands, sa canne et sa moustache.

BILAN

Au terme de mes cinq années de scolarité primaire, je jonglais avec les principales règles de l'orthographe ; l'analyse grammaticale (nature et fonction des mots) et l'analyse logique (nature et fonction des propositions) n'avaient pas de secrets pour moi ; le calcul des surfaces, des volumes, du temps non plus et j'excellais dans la composition (rédaction) française. Je dis cela, non pour me « faire mousser », mais pour rappeler que jusqu'à l'âge de 6 ans, je n'avais jamais entendu parler français, que mes parents étaient illettrés et que nous vivions dans un douar enclavé. Pour le dire simplement, l'école a accompli un miracle. Et le vieil ancien prof que je suis ne ressasse ces choses que pour dire son désespoir devant ce qu'il est advenu de l'école aujourd'hui. Prise dans les rets d'enjeux politiciens insensés -changer les mentalités des jeunes générations afin d'induire le changement social souhaité, dans un sens islamiste en Algérie, hédoniste-nihiliste en France-, l'école n'assume pas -ou très mal- ses fonctions « naturelles » : la transmission des savoirs de base -lire, écrire, compter- qui aideront les jeunes à devenir des sujets autonomes. Pour donner le change, on amuse la galerie avec de pseudo-débats -dont les dés sont toujours pipés- comme celui sur ce que doit être la mission fondamentale de l'école : transmettre des savoirs ou des compétences ? Comme si une compétence, quelle qu'elle soit, n'était pas nécessairement adossée à un savoir, quel qu'il soit, empirique ou scientifique ! L'on voit bien que la notion de « compétence » a pour fonction de masquer celle de « savoir ». Ou comme cet autre (débat) sur les rythmes scolaires : comment quantifier et organiser le temps scolaire ? Des « experts » en psychopédagogie y ont réfléchi et ils ont la solution, nous dit-on. À qui fera-t-on oublier que ces prétendus experts ne pourront que mettre sous la forme adéquate les exigences non négociables de l'industrie des loisirs ? Résultat de tout cela : la privatisation de l'école commence à s'imposer à tous comme une nécessité.

LA MONTRE CHRONOMÈTRE

Mon père me récompensa de ma réussite en m'offrant une magnifique montre chronomètre, plaquée or. Pour ne pas faire de jaloux, il offrit la même au Calciné. Deux jours plus tard, ma montre disparut. J'en informai ma mère qui demanda des comptes au Calciné. Blotti dans la pièce contiguë, j'ai pu suivre la conversation. Elle fut houleuse, le Calciné se défendant d'avoir « emprunté » la montre et accusant sa sœur, Crona, de l'avoir volée pour l'offrir à son soupirant. Je tombai des nues ! J'appris ainsi que Crona, la plus jeune des sœurs, se laissait compter fleurette par un jeune du village, Marocain de son état ! Ce qui pour la famille des M'saada que nous étions valait apostasie. Et ce d'autant plus que tout le monde savait que le « destinataire » désigné de Crona était un homme du douar, fils d'un ami de mon père, B. Il s'agissait d'une famille honorable de cultivateurs du douar. Inutile de dire que je n'ai plus jamais revu ma montre et que je n'ai jamais su le fin mot de sa disparition. Crona l'a-t-elle subtilisée pour en faire cadeau à son amoureux ? Le Calciné l'a-t-il vendue ou offerte à son âme damnée, le mitron ? Mystère et boule de gomme.

mercredi 1 octobre 2014

MÉMOIRE EN FRAGMENTS : CHRONIQUES SALADÉENNES (16)



Aïcha Touila


LE CALCINÉ FAIT ENCORE DES SIENNES
Mon père avait mis des mois à digérer le mauvais tour que lui avait joué le Calciné en lui faisant croire qu'il préparait le concours d'entrée au lycée alors qu'il était en classe de fin d'études primaires. Dans un premier temps, il ne lui adressa plus la parole ; puis, voyant que son fils n'en était pas plus affecté que cela et que, de plus, il commençait à avoir de très mauvaises fréquentations (il s'était lié d'amitié avec des jeunes peu recommandables), le père décida de le faire travailler aux champs avec lui. Lever à quatre heures du matin, seau d'eau sur la tête en guise de douche, bol de café noir et départ sur la 202 pour les champs. Là, travail jusqu'à midi, une courte sieste et reprise du boulot jusqu'à 16-17 H. Tel était l'emploi du temps immuable de mon père. Je ne l'ai jamais vu emporter un casse-croûte avec lui. Il n'a jamais pris un jour de vacances. Le Calciné pouvait-il tenir un pareil régime ? Ma mère demanda vite grâce pour son premier-né mâle. Mon père décida alors de le placer à la médersa du douar. Le Calciné tint une journée qui s'acheva en insultes et jet de pierres à l'adresse de l'honorable mouderrès, Si Mohamed Aïssaoui. Après cet exploit, le Calciné fugua en se réfugiant auprès de son âme damnée, son copain apprenti boulanger ; il passait la nuit dans le fournil de Macias. Finalement, et grâce à son ami, Joseph Sempéré, mon père réussit à caser le Calciné à la mairie du village, en qualité de garçon de courses. C'était l'ultime chance que lui offrit son père et qui décidera de son avenir. En ce temps-là, il n'y avait qu'un employé arabe à la mairie de notre village ; il s'appelait Madani Ghalmi. C'était un homme délicieux, ancien footballeur longiligne, portant toujours béret, la discrétion et la courtoisie faites homme. À ses côtés, ainsi qu'à ceux de MM. Viruéga, Jiménez (le talentueux joueur-entraîneur de la Jeunesse Sportive Saladéenne, le club de basket local), Aracil…, le Calciné se civilisera et saura saisir sa chance.
LES SORTIES
M. Porta nous fit découvrir un autre pan de l'activité scolaire, les sorties. Sorties champêtres, visites touristiques à Oran, sans compter les séances de cinéma (qui, elles, avaient lieu à l'école). C'est ainsi que notre maître nous emmena escalader la montagne (n'exagérons rien, elle a 297 m d'altitude) dite « Dhar el Menjel » -dos de la faucille-, juste à l'orée de mon douar. Je découvris alors que la montagne n'était pas une protubérance de terre ( comme la petite colline sur laquelle se juchait notre maison du douar), mais une manière d'éboulis de roches granitiques énormes que nous gravîmes avec peine. Arrivés au sommet, nous nous reposâmes dans la grotte mystérieuse sur laquelle couraient des histoires abracadabrantes. J'ai pu contempler à loisir mon douar qui s'étale au pied de Aïcha Touila, en vis-à-vis de Dhar el Menjel, la montagne (310 m) qui le veille et le protège et que personne ne songeait à escalader, elle. Avec Sidi Kacem, plus à l'ouest, les deux plateaux de Hassi el Ghella (Er-Rahel) à l'est et de Hammam Bouhadjar (plateau dit « El Meïda) au sud, la cuvette où s'était lové notre village était parfaitement délimitée. En fin d'après-midi, nous sommes rentrés en chantant : « Un km à pied, ça use, ça use... ». (Un condisciple arabe chantait « Un km à pied, Saïd, Saïd... » ).

Djébel Mendjel
A LA FOIRE D'ORAN

Un autre jour, nous allâmes visiter la foire d'Oran. Nous sommes partis tôt la matin en autocar et durant tout le voyage, nous avons chanté les ritournelles que M. Porta nous avait apprises. (Notre maître aimait certainement beaucoup le chant, car nous finissions toujours la journée de classe sur une chanson ! ). Tout y passa, « à la claire fontaine » comme « Malbrouck s'en va-t-en guerre » et cette autre dont le titre est sorti de ma mémoire et dont ne subsistent que quelques paroles, terribles, qu'échangent une jeune fille et son fiancé, alors que ce dernier s'apprête à partir pour la guerre :
- « Ah ! Pleure donc pas tant la belle
Dans sept ans je reviendrai
Ma fortune sera faite
La belle je t'épouserai
-Ta fortune sera faite
par un boulet de canon
Qui t'emportera la tête
Les deux jambes sans façon. »
Et vlan pour l'apprenti soudard ! Pas bête, la belle !
Je garde le souvenir d'une chose gigantesque que cette foire aux stands innombrables et également celui d'une grande fatigue. Dans la cour extérieure du palais de la foire, trônait un… avion à réaction. C'était un chasseur (je crois) et nous fîmes la queue -interminable, me sembla-t-il- pour grimper dans son poste de pilotage. Mes condisciples européens étaient fiers : « Un avion à réaction ! Tu te rends compte ! ». Ils n'en revenaient pas d'avoir pris place dans le cockpit. Moi, à ma grande honte, je ne voyais pas en quoi le moment que je venais de vivre était historique. J'avais peut-être raté quelque chose… (Mais j'aurai tout le temps de méditer sur la fascination de l'espèce humaine pour les engins de mort).
VISITE DE LA CLO
Notre seconde expédition à Oran nous mènera à la CLO, la Centrale laitière oranaise. Tout le cycle du lait, depuis la traite des vaches à la mise en bouteille, en passant par la pasteurisation, nous fut restitué sous forme concrète. Ce jour-là, nous avons fait la connaissance de l'automatisation, du travail moderne, parcellisé. Et encore, nous n'avions rien vu ! Cependant, cette excursion restera dans ma mémoire pour une autre raison : le CM2 de l'école de filles était également de la partie et nos deux maîtres avaient veillé à ce que chaque garçon soit assis à côté d'une fille dans l'autocar. Donc je me suis trouvé placé à côté d'une élève européenne. Nous avons partagé nos casse-croûte (elle avait trouvé le pain de semoule fait par ma mère très bon) et quand tout l'autocar a entonné « Il y a longtemps que je t'aime, jamais je ne t'oublierai », j'ai eu l'intuition que cette journée serait à jamais gravée dans ma mémoire. Et elle le fut, en effet.
LE GRAND DÉSAPPOINTEMENT
La constitution du dossier administratif pour le concours ainsi que pour la bourse exigeait la présence du père. C'est M. Porta qui s'occupait de remplir les dossiers pendant les séances de répétitions. Quand mon tour fut venu, mon père se présenta en classe. Je me souviens que nous « planchions » sur un problème retors (que j'avais torché vite fait bien fait et sans faire d'erreur de virgule!). M. Porta m'appela donc à son bureau et me dit tout de go : « Je vais t'inscrire pour le lycée Lamoricière. » Je ne compris pas : pour moi, le concours allait se dérouler au collège moderne Ardaillon où j'avais vocation à rejoindre mon cousin Houari. Les choses étaient réglées dans ma tête. Et voilà que le maître parlait d'un lycée au nom incompréhensible ! Alors, la phrase désespérée sortit de ma bouche, spontanément : « Monsieur, je veux aller à Ardaillon ! » - « Pas question », répondit le maître sur un ton qui n'admettait aucune réplique, dans le même temps où mon père me fusillait du regard et me disait, en arabe (la seule langue qu'il connaissait) : « Tais-toi ! Est-ce que tu sais mieux que le maître ? ». Je m'écrasai, la mort dans l'âme. M. Porta ajoutera, tout en remplissant le dossier : « Tu aimes le français et tu n'aimes pas le calcul…, c'est le lycée qu'il te faut ».
C'est ainsi que mon sort fut réglé. Il va sans dire que je n'avais aucune idée de la différence profonde entre collège moderne et lycée classique, dénué que j'étais -et ma famille avec moi- de tout capital symbolique (comme dirait Bourdieu).
LE GRAND JOUR


Il arriva au mois de mai, le jour du concours d'entrée en Sixième. Mon père et le Calciné m'accompagnaient à bord de la Traction. La présence du Calciné s'expliquait par ce fait que mon père était très fatigué, ce jour-là ; il abandonna le volant au Calciné qui, à seize ans savait bien conduire car il avait fait ses classes sur notre Peugeot 202. Nous nous garâmes place Sébastopol, assez loin du lycée Lamoricière où je devais passer l'examen. Mon père passa sur la banquette arrière et s'allongea : il était d'une pâleur effrayante. Il me dit : « Je ne peux t'accompagner, mon fils ; je n'en peux plus. Va avec ton frère et fais pour le mieux. » Nous sommes partis et nous ne savions pas, alors, que notre père présentait les premiers signes de la très grave affection qui l'emporterait un an plus tard, quand le malheur frappera à coups redoublés à notre porte.
DÉFAUT DE LANGUE
Avant de me laisser devant l'entrée du lycée, le Calciné me donna rendez-vous, à la fin des épreuves, sur le trottoir d'en face, devant la porte monumentale de la Banque d'Algérie. Dans la cour d'honneur du lycée, envahie par les parents qui convoyaient leurs rejetons, un homme, échevelé, vociférant et le visage inondé de sueur, s'agitait comme un diable, tentant de tenir à distance la parentèle afin qu'elle n'encombre pas l'entrée de la cour Chevassus. Cet homme -je le saurai plus tard- était le censeur, M. Auberty. J'entrai dans la cour (Chevassus) à l'appel de mon nom et m'alignai face à la salle qui m'avait été désignée. La première épreuve était la dictée-questions et le défi -comme me l'avait répété mon maître- était de faire zéro faute « comme d'habitude », disait-il. Je ne craignais rien mais un élément imprévu me déstabilisa : le professeur qui dictait le texte avait un défaut de langue catastrophique : il ne pouvait pas prononcer les « s » qu'il transformait en chuintements incompréhensibles. Je fus vite pris de panique -je ne devais pas être le seul- face à ce professeur qui rougissait de confusion en voyant sans doute nos mines interrogatives, certaines défaites. Il répétait plus que de raison les phrases mais cela revenait au même : certains mots demeuraient incompréhensibles. Mais je finis par me calmer et par prendre la mesure de ce qui était, au fond, un code. Au total, je fis une seule faute, imputable à la mauvaise prononciation du prof : il s'agissait d'un mot nouveau pour moi (et pour la plupart des élèves) mais que j'aurais pu orthographier correctement n'était le défaut de langue du prof. (M. Porta faillit s'étrangler quand je lui racontai ma mésaventure.)
LA VIRGULE, DÉCIDÉMENT
Les autres épreuves de français (rédaction et compte-rendu de lecture) se passèrent sans anicroche. Quant à l'épreuve de calcul, je la « torchai » vite fait selon mon habitude et restai bras croisés à glander. À un moment donné, la prof qui nous surveillait s'approcha de moi : -« Tu as fini ? » - « Oui, madame ». Elle feuilleta ma copie : « Relis » ! La dureté du ton me rappela celle de M. Porta quand il découvrait chez moi une erreur dans le placement de la virgule. Je refis tous les calculs et trouvai au résultat final 3,05 alors que j'avais inscrit, par erreur, 30,5 la première fois. Sur le visage de la prof qui passa près de ma table -et qui jeta un coup d'oeil discret sur ma feuille- je crus déceler un imperceptible sourire.
ABANDONNÉ (DU MOINS LE CRUS-JE)
Les épreuves du concours finies, je sortis, traversai la rue El Moungar et me postai sagement devant la banque. Face à moi, la cour d'honneur du lycée se vidait très lentement des nombreux élèves et de leurs parents qui s'attardaient, discutant entre eux et avec leurs enfants. Sans doute confrontaient-ils les résultats de leurs rejetons à l'épreuve de calcul… Je fis le pied de grue longtemps, jusqu'à ce que le cour du lycée m'apparût tel un désert sinistre. Un grand silence se fit soudainement. Et toujours pas de Calciné. Alors, et sans crier gare, une peur panique fondit sur moi. Le Calciné ne reviendrait pas. Faute de me faire subir le sort d'Abel, Caïn m'avait abandonné sur le trottoir d'une jungle inconnue. J'éclatai en sanglots, fis quelques pas sur le boulevard Galliéni, me ravisai, retournai à mon point de départ. Et pleurai sans retenue. Soudain jaillit, de derrière l'un des palmiers qui me faisaient face, sur le trottoir du Cintra (brasserie cossue de type munichois dont les tables étaient d'authentiques... tonneaux), le Calciné. Depuis combien de temps était-il là, planqué derrière un palmier ? Assez pour jouir du spectacle que je lui offrais, certainement.
N.B. Vous pouvez retrouver l'ensemble des "épisodes" de "Mémoire en fragments" dans la rubrique "PAGES" du blogue.