braniya chiricahua




L'ancien se meurt, le nouveau ne parvient pas à voir le jour. Dans ce clair-obscur surgissent des monstres.
Antonio Gramsci

vendredi 9 janvier 2015

UN ANCIEN DE CHARLIE-HEBDO PARLE




Cet article avait été mis en ligne sur ce blogue le 29 décembre 2013, sous le titre "La machine à raffiner le racisme brut". Je l'avais fait précéder d'un "chapeau" qui précisait le contexte dans lequel son auteur, Olivier Cyran, l'avait rédigé. Aujourd'hui, 9 janvier 2015, deux jours après la tuerie qui a décapité la rédaction de Charlie-Hebdo, je le remets en ligne. Tout est déjà là dans ce remarquable écrit : la dérive funeste d'un journal satirique devenu une machine de guerre néoconservatrice sous la houlette de son directeur Philippe Val, coolie d'Israël et de ses groupes de pression en France. Sarközy le récompensera en le nommant à la direction de France Inter. Les socialistes, revenus au pouvoir, ne l'ont pas viré : c'est dire qu'entre droite et gauche, il n'y a pas de différence au niveau de l'acceptation de la domination sioniste sur le pouvoir d'état. Le zèle judéophile déployé par Manuel Valls en est une illustration éloquente.
Machine de guerre néoconservatrice veut bien dire que Charlie-Hebdo a été partie prenante d'une guerre, d'une rare perfidie, celle du "choc des civilisations", concoctée à Washington et Tel-Aviv. Cette guerre prend pour cible le monde arabo-musulman pour deux raisons principales : 1) Tel-Aviv a un intérêt vital à détruire tous les états arabes en les présentant comme des barbares et en se présentant lui-même comme le poste avancé de la civilisation. 2) Washington ne supporte pas que ce monde arabo-musulman résiste à son pouvoir de séduction (soft power) et persévère dans son être.
Les deux acolytes rêvent d'un monde d'où toute diversité aurait été effacée, un monde d'individus isolés et décérébrés, des buveurs de Coca-Cola et des mangeurs de Mac-Do, auxquels il leur sera facile d'imposer leur domination. Avec un gouvernement mondial (à leur botte) siégeant de préférence à Jérusalem, comme le préconise Jacques Attali.   
De ce point de vue, la boucherie du 07 janvier apparaît d'ores et déjà comme une réédition du 11/9 : un attentat sanglant sous faux drapeau. Les jours prochains apporteront des éléments nouveaux sur l'identité exacte des assassins et de leurs commanditaires. Quoi qu'il en soit, les tireurs de ficelles auront utilisé et sacrifié des caricaturistes exactement comme ils ont utilisé et sacrifié les Khaled Kelkal, Mohamed Merah et autres.

Le dessin illustrant l'article montre à quel niveau de provocation était tombé le journal. N'en déplaise au troupeau bêlant qui sautille comme un cabri en criant "Liberté d'expression !", la notion de sacré existe encore pour certaines gens et ces gens ont le droit d'être respectés. Non, on ne peut pas tout tourner en dérision ni offenser les croyants sincères. Et dire cela participe également de la liberté d'expression.

La rédaction de Charlie Hebdo vient de faire paraître dans les colonnes du quotidien Le Monde, sous forme de tribune libre, un plaidoyer pro domo dans lequel elle se défend d'être devenue un journal raciste. Un de ses anciens journalistes, Olivier Cyran (Allemand vivant en France), lui répond. 
La méticulosité de l'argumentaire qu'il y déploie, la profondeur de l'analyse qu'il met en œuvre ainsi que la richesse de la culture qu'il convoque nous font le devoir de dire que nous avons affaire, là, à une démonstration magistrale qui fait honneur à son auteur -et au journalisme, au vrai- et pointe implacablement la dérive de l'hebdomadaire anciennement satirique vers les eaux glauques et puantes du néoconservatisme.

Ci-dessous, un florilège de citations extraites de l'article que l'on pourra retrouver dans son intégralité ici :

Je me permets d'encourager vivement les visiteurs de Braniya à le lire. Une fois cela fait, ils comprendront qu'on ne puisse pas dire que tous les journalistes sont des moutons ni que tous les Européens (les "Blancs") sont islamophobes.




"Ainsi donc Le Monde vous a charitablement ouvert son rayon blanchisserie, pour un repassage express de votre honneur tout chiffonné. À vous entendre, il y avait urgence : même plus moyen de sortir dans Paris sans qu’un chauffeur de taxi vous traite de racistes et vous abandonne les bras ballants sur le bord du trottoir...

S’il m’est arrivé à moi aussi, par le passé, de griffonner quelques lignes fumasses en réaction à tel ou tel de vos exploits, je ne me suis jamais appesanti sur le sujet. Sans doute n’avais-je ni la patience ni le cœur assez bien accroché pour suivre semaine après semaine la navrante mutation qui s’est opérée dans votre équipe après le tournant du 11 septembre 2001. Je ne faisais déjà plus partie de Charlie Hebdo quand les avions suicide ont percuté votre ligne éditoriale, mais la névrose islamophobe qui s’est peu à peu emparée de vos pages à compter de ce jour-là m’affectait personnellement, car elle salopait le souvenir des bons moments que j’avais passés dans ce journal au cours des années 1990. Le rire dévastateur du « Charlie » que j’avais aimé sonnait désormais à mes oreilles comme le rire de l’imbécile heureux qui se déboutonne au comptoir du commerce, ou du cochon qui se roule dans sa merde...

Raciste, Charlie Hebdo ne l’était assurément pas du temps où j’y ai travaillé. En tout cas, l’idée qu’un jour le canard s’exposerait à pareil soupçon ne m’a jamais effleuré. Il y a avait bien quelques franchouillardises et les éditos de Philippe Val, sujets à une fixette inquiétante et s’aggravant au fil des ans sur le « monde arabo-musulman », considéré comme un océan de barbarie menaçant de submerger à tout instant cet îlot de haute culture et de raffinement démocratique qu’était pour lui Israël...

À peine avais-je pris mes cliques et mes claques, lassé par la conduite despotique et l’affairisme ascensionnel du patron, que les tours jumelles s’effondrèrent et que Caroline Fourest débarqua dans votre rédaction. Cette double catastrophe mit en branle un processus de reformatage idéologique qui allait faire fuir vos anciens lecteurs et vous en attirer d’autres, plus propres sur eux, et plus sensibles à la « war on terror » …

Le nouveau tropisme en vigueur imposa d’abjurer le tempérament indocile qui structurait le journal jusqu’alors et de nouer des alliances avec les figures les plus corrompues de la jet-set intellectuelle, telles que Bernard-Henri Lévy ou Antoine Sfeir, cosignataires dans Charlie Hebdo d’un guignolesque « Manifeste des douze contre le nouveau totalitarisme islamique»...

À Charlie Hebdo, il a toujours été de bon ton de railler les « gros cons » qui aiment le foot et regardent TF1. Pente glissante. La conviction d’être d’une essence supérieure, habilitée à regarder de très haut le commun des mortels, constitue le plus sûr moyen de saboter ses propres défenses intellectuelles et de les laisser bailler au moindre courant d’air...

Le pilonnage obsessionnel des musulmans auquel votre hebdomadaire se livre depuis une grosse dizaine d’années a des effets tout à fait concrets. Il a puissamment contribué à répandre dans l’opinion « de gauche » l’idée que l’islam est un « problème » majeur de la société française. Que rabaisser les musulmans n’est plus un privilège de l’extrême droite, mais un droit à l’impertinence sanctifié par la laïcité, la république, le « vivre ensemble »...  

Je veux bien tâcher d’éclairer vos lanternes sur ce point : l’islam-religion-conquérante qui fait rien qu’à croquer la planète. L’islamisation de l’archipel indonésien a commencé au XIIIe siècle, quand des princes de Sumatra se sont convertis à la religion des marchands perses et indiens qui faisaient bombance dans leurs ports –non sous la contrainte, mais par désir d’intégrer un réseau commercial prospère. Plus tard, au XVIIIe siècle, ce sont les colons hollandais, chrétiens irréprochables, qui se sont arrangés pour imposer l’islam à Java, en vue de soustraire sa population à l’influence séditieuse des Balinais hindouistes. On est loin de l’imagerie du farouche bédouin réduisant à sa merci des peuples exotiques, à laquelle se résume apparemment votre connaissance du monde musulman...

Vous avez raison, arabe et musulman, ce n’est pas la même chose. Mais vous savez quoi ? Musulman et musulman, ce n’est pas pareil non plus. Sachez qu’il y en a de toutes sortes, riches ou pauvres, petits ou grands, sympathiques ou revêches, généreux ou rapiats, désireux d’un monde meilleur, réactionnaires ou même, oui, intégristes. Or, dans Charlie Hebdo, rien ne ressemble davantage à un musulman qu’un autre musulman. Toujours représenté sous les traits d’un faible d’esprit, d’un fanatique, d’un terroriste, d’un assisté. La musulmane ? Toujours une pauvre cloche réductible à son foulard, et qui n’a d’autre fonction sociale que d’émoustiller la libido de vos humoristes...

Ce qui définit la vision dominante du « racialisé », « c’est qu’il est tout entier contenu dans ce qui le racialise ; sa culture, sa religion, sa couleur de peau. Il serait comme incapable de s’en sortir, incapable de voir plus loin que son taux de mélanine ou le tissu qu’il porte sur la tête, observe sur son blog Valérie CG, une féministe pas très intéressante puisqu’elle ne vous a pas montré ses seins. Musulman devient une sorte de nouvelle couleur de peau dont il est impossible de se détacher. »...

Dans votre texte du Monde, vous invoquez la salutaire remise en cause des « si grands pouvoirs des principaux clergés », mais sans préciser en quoi l’islam – qui n’a pas de clergé, mais on ne peut pas tout savoir, hein – exerce en France un « si grand pouvoir ». Hors de la version hardcore qu’en donnent quelques furieux, la religion musulmane ne me paraît pas revêtir chez nous des formes extraordinairement intrusives ou belliqueuses. Sur le plan politique, son influence est nulle : six millions de musulmans dans le pays, zéro représentant à l’Assemblée nationale. Pour un parlementaire, il est plus prudent de plaider la cause des avocats d’affaires et de voter des lois d’invisibilité pour les femmes voilées que de s’inquiéter de l’explosion des violences islamophobes. Pas un seul musulman non plus chez les propriétaires de médias, les directeurs d’information, les poids lourds du patronat, les grands banquiers, les gros éditeurs, les chefferies syndicales. Dans les partis politiques, de gauche comme de droite, seuls les musulmans qui savent réciter par cœur les œuvres complètes de Caroline Fourest ont une petite chance d’accéder à un strapontin...

… Vous revendiquez le droit sacré de « rire » pareillement des imams, des curés et des rabbins. Pourquoi pas, si encore vous appliquiez vraiment ce principe. On oublie l’épisode Siné ou il faut vous faire un dessin ? Un constat avéré d’islamophobie, et c’est l’éclat de rire. Une mensongère accusation d’antisémitisme, et c’est la porte. Cette affaire remonte aux années Val, mais la pleutre approbation que votre patron d’alors a recueilli auprès de « toute la bande », et plus particulièrement auprès de toi, Charb, démontre que le deux poids deux mesures en vigueur à cette époque n’était pas le fait d’un seul homme. La même règle a perduré. À ce jour, me dit-on, le numéro spécial « Charia Hebdo » ne s’est toujours pas dédoublé en un « Talmud Hebdo »...

Vous vous réclamez de la tradition anticléricale, mais en feignant d’ignorer en quoi elle se différencie fondamentalement de l’islamophobie : la première s’est construite au cours d’une lutte dure, longue et acharnée contre un clergé catholique effectivement redoutable de puissance, qui avait – et a encore – ses journaux, ses députés, ses lobbies, ses salons et son immense patrimoine immobilier ; la seconde s’attaque aux membres d’une confession minoritaire dépourvue de toute espèce d’influence sur les sphères de pouvoir...  

« Encoder le racisme pour le rendre imperceptible, donc socialement acceptable », c’est ainsi que Thomas Deltombe définit la fonction de l’islamophobie, décrite aussi comme une « machine à raffiner le racisme brut » ."



2 commentaires:

  1. Salut Messaoud,

    Olivier Cyran me fait penser à John Swinton. Ci-après son célèbre propos, plus que centenaire :

    À New York, lors d’un banquet, le 25 septembre 1880, le célèbre journaliste John Swinton se fâche quand on propose de boire un toast à la liberté de la presse :

    « Il n’existe pas, à ce jour, en Amérique, de presse libre et indépendante. Vous le savez aussi bien que moi. Pas un seul parmi vous n’ose écrire ses opinions honnêtes et vous savez très bien que si vous le faites, elles ne seront pas publiées. On me paye un salaire pour que je ne publie pas mes opinions et nous savons tous que si nous nous aventurions à le faire, nous nous retrouverions à la rue illico. Le travail du journaliste est la destruction de la vérité, le mensonge patent, la perversion des faits et la manipulation de l’opinion au service des Puissances de l’Argent. Nous sommes les outils obéissants des Puissants et des Riches qui tirent les ficelles dans les coulisses. Nos talents, nos facultés et nos vies appartiennent à ces hommes. Nous sommes des prostituées de l’intellect. Tout cela, vous le savez aussi bien que moi ! » (Cité dans : Labor’s Untold Story, de Richard O. Boyer and Herbert M. Morais, NY, 1955/1979.)

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    1. Salut ZO,

      Oui; les médias mainstream offrent aujourd'hui l'image caricaturale -tellement grosse que personne ne songe à la nier- de cette "prostitution" vis-à-vis des riches et des puissants dont parle Swinton. L'élément nouveau, aujourd'hui, c'est Internet qui a permis un formidable progrès : la libre expression des opinions et leur circulation. Le résultat immédiat (que les puissances d'argent essaient désespérément de cacher) en est que les médias mainstream (en Europe tout du moins) sont carrément à l'agonie. Et, à la faveur de cette donne nouvelle, les intellectuels "free lance" qui font oeuvre de journalisme - du vrai-,comme O. Cyran, émergent.
      De grands changements sont à venir : l'Histoire nous a appris que les grandes transformations sociales et politiques sont généralement précédées d'avancées décisives dans le domaine technologique.

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